Lettre ouverte aux centres d'artistes autogérés du Québec : Au-delà des déclarations de solidarité

le 12 juin, 2020

Le personnel et le conseil d'administration d'articule demandent aux centres d'artistes autogérés et aux organismes artistiques de Montréal d’aller au-delà des simples déclarations de solidarité contre le racisme anti-Noir-e-s et anti-Autochtones, contre la brutalité policière et les discriminations systémiques présents au sein de notre gouvernement et de notre société au niveau local et national. 

Si certains centres et organisations ont publié des déclarations de solidarité, leurs efforts sont toutefois restés superficiels en relayant juste les efforts concrets d’autres organismes par leurs créations de ressources ou de fonds. Nous invitons les centres d'artistes à se joindre à nous pour faire en sorte que ce moment d'attention populaire accrue provoque des changements organisationnels activement auto-critiques et durables. En tant qu'organismes financés par des fonds publics et en tant qu’espaces de dialogue, de création, de diffusion d'idées et de culture vitales, nous avons la responsabilité, en tant qu'organismes artistiques montréalais, de nous lancer dans la lutte. Cette lutte pour une société plus juste où la vie des Noir-e-s et des Autochtones serait florissante et où leurs voix seraient portées et entendues ici ainsi que sur la scène internationale. 

Nous ne sommes pas de simples observateurs-trices du violent héritage racial des États-Unis ; le racisme systémique et la suprématie blanche ont aussi une longue histoire au Québec (pour plus d'informations, vous pouvez lire le livre Noires sous surveillances : Esclavage, répression et violences d’État au Canada de Robyn Maynard, vous pouvez également la suivre sur Twitter ici) qui touchent jusqu’à présent tous les secteurs de la société, y compris les arts. Les centres d'artistes et les organisations artistiques se doivent d'être publiquement et explicitement antiracistes. 

Toutefois, le discours ne suffit pas. 

Il ne convient pas de poster une fois par an sur Instagram comme preuve ultime de politique progressiste ou de réécrire une section « À propos » pour y inclure une mention de la diversité. Il ne suffit pas de programmer des artistes Noir-e-s et Autochtones sans leur assurer un espace institutionnel capable de les accueillir. Il ne suffit pas de mettre une mention sur la sous-représentation dans une offre d'emploi, sans modifier les procédures d'embauche. Il ne suffit pas d'embaucher des membres de personnel noir ou autochtone sans préparer des outils institutionnels pour garantir leur bien-être. Nous devons nous engager à apporter un soutien radical, tangible, durable et proactif aux artistes, membres, commissaires d'exposition et publics des communautés noires et autochtones. 

Nous demandons aux conseils d'administration, au personnel et aux membres des centres d'artistes autogérés de Montréal de s'investir, ou de se réinvestir, dans un véritable travail structurel pour devenir des organisations antiracistes. Pas « pas raciste », mais explicitement antiraciste. Ce travail se fait à tous les niveaux : dans les comités RH, les décisions de programmation, la distribution financière, la rédaction des politiques, la formation du personnel, ainsi que l'éducation et la responsabilisation des individu-e-s. Si nous prétendons soutenir l'inclusion, la diversité et le féminisme intersectionnel ; que nous obtenons — grâce à ces valeurs professées — un capital social précieux, mais qu’en parallèle nous n'utilisons pas nos plateformes pour aborder les héritages du racisme, ici au Québec et dans le monde entier, il est alors grand temps de procéder à une réévaluation. 

Si les centres d'artistes ne font que programmer des artistes Noir-e-s et Autochtones sans remettre en cause activement la suprématie blanche dans nos organisations et qu’ils utilisent constamment nos plateformes pour soutenir la vie des Noir-e-s et des Autochtones, cela veut dire que nous exploitons le capital social de ces artistes et que nous ne parvenons pas à combattre le racisme systémique de manière significative. 

Nous devons tous prendre le temps de réfléchir à ces questions : 

  • Qui fait partie de notre conseil d'administration ? 

  • Qui avons-nous engagé au cours des dix dernières années, tant pour des postes à long terme que pour des postes contractuels ? Y a-t-il des Noir-e-s, des Autochtones ou des personnes racisées dans les postes de direction ?

  • Avons-nous consacré du temps et des ressources à la formation organisationnelle contre le racisme, y compris l'intégration de la formation à la diversité sur le lieu de travail pour le personnel ? 

  • Qui fait partie de notre comité de programmation ? 

  • Qui fait partie de notre comité des ressources humaines ? 

  • Qui rédige nos politiques ? Avons-nous des procédures qui accompagnent ces politiques ?

  • Notre culture et notre structure de travail internes favorisent-elles un leadership blanc toxique ?  

  • Avons-nous mis en place des politiques et des pratiques qui protègent le personnel, les artistes et les membres racisé-e-s contre les agressions et les micro-agressions ? 

  • Comprenons-nous le travail impliqué dans l'éducation antiraciste interne et externe, qu'elle soit formelle ou informelle ? Qui fait ce travail ? Les rémunérons-nous de manière adéquate ? 

  • Fournissons-nous au personnel et aux membres du conseil d'administration des ressources en matière de santé mentale ?  

  • Suivons-nous, apprenons-nous et amplifions-nous le travail déjà effectué par les artistes, commissaires d'exposition, écrivain-e-s et travailleurs-euses culturel-le-s noir-e-s et autochtones pour démanteler le racisme systémique ici à Montréal ? 

  • Investissons-nous dans le mentorat des jeunes travailleurs-euses culturel-le-s noir-e-s et autochtones ? 

  • Avons-nous mis en place des systèmes de responsabilisation pour le personnel et les membres du conseil d'administration blanc-he-s, afin de soutenir le travail individuel continu visant à devenir des collègues antiracistes ? 

  • Avons-nous formé notre personnel à réagir aux cas de racisme de la part du public ?

  • Avons-nous coupé les liens avec les organisations qui maltraitent les artistes racisé-e-s ou qui ne traitent pas correctement les cas de racisme, ou avons-nous exigé la responsabilité institutionnelle de ces organisations ? 

  • Qui sont les bénévoles de notre organisation ? Qui est rémunéré ?

Cette liste n'est pas exhaustive. Voici quelques pistes pour répondre à ces questions :

  • En tant que personnel, conseil d'administration, artistes et membres, élaborer une convention collective ou un mandat spécifique à notre histoire, notre programmation et nos autres activités concernant nos engagements et nos priorités pour un espace anti-oppressif intersectionnel et le réévaluer souvent.

  • Mettre à jour notre politique et nos procédures en matière de ressources humaines dans une optique explicitement antiraciste ; engager un-e consultant-e et bien le-la rémunérer pour ce travail dans le cas où nous ne disposerions pas de l'expertise interne nécessaire issue de l'expérience vécue du racisme et de la résistance.

  • Prévoir des formations régulières sur l'équité et la lutte contre l'oppression dans le cadre de nos activités pour le personnel, le conseil d'administration et les membres. Une fois ne suffit pas. Le COCo offre une formation anti-oppression aux organismes à but non lucratif de Montréal. 

  • Examiner la culture de la suprématie blanche dans notre organisation et mettre en place des engagements pour l'évaluer régulièrement.

  • Mettre en place des procédures de résolution de conflits et de plaintes qui s'inscrivent dans le cadre des politiques de lutte contre le harcèlement au sein de notre organisation.

  • Restructurer nos évaluations du personnel afin d'inclure explicitement un espace pour décrire les expériences spécifiques aux employés racisé-e-s. 

  • Normaliser les auto-évaluations organisationnelles axées sur la justice raciale, en préparant une liste de questions, comme celle-ci ou celle ci-haut, en y revenant fréquemment.

  • Donner la priorité aux artistes et commissaires noir-e-s et autochtones dans nos décisions de programmation.

  • Donner la priorité à la sécurité et au bien-être des artistes, commissaires et publics noirs et autochtones plutôt qu'aux droits des artistes, commissaires et publics blancs.  

  • Se concentrer sur l’art, les expériences et l’Histoire des Noir-e-s et des Autochtones à travers nos outils d’éducation et dans nos activités de médiation culturelle. 

  • Perturber activement la présomption selon laquelle nos publics sont exclusivement Blancs ; s'adresser et se focaliser sur nos publics noirs et autochtones.

  • Examiner de manière critique nos sources de financement — quelles sont les mesures prises par nos bailleurs de fonds pour lutter contre le racisme dans leur organisation/entreprise ?

  • Redistribuer nos ressources en offrant nos espaces numériques et physiques aux artistes, commissaires, membres et publics noirs et autochtones pour qu'ils puissent se rencontrer dans des rassemblements autodéterminés exclusivement noirs ou autochtones.

  • Redistribuer nos ressources en offrant nos espaces numériques et physiques pour le travail des militant-e-s antiracistes, qu'il s'agisse de réunions, de collectes de fonds, de performances, etc. 

  • Utiliser nos plateformes en ligne et hors ligne pour dénoncer le racisme anti-Noir-e-s et anti-Autochtones partout où il se manifeste (dans la rue, dans les écoles et les hôpitaux, les salles d'audience, les assemblées générales, les réunions d'équipe...) 

  • Utiliser nos plateformes en ligne et hors ligne pour mettre en valeur le travail et les paroles des artistes, écrivain-e-s, commissaires et travailleurs-euses culturel-le-s noir-e-s et autochtones.

  • Créer des alliances avec d'autres organisations engagées dans la transformation pour un soutien mutuel et un apprentissage et désapprentissage collectifs.

Et le plus important :

  • Rappelons-nous que toute action entreprise doit venir d'une position d'humilité, d'écoute, de recherche de consentement et de volonté constante de changer.

  • Rappelons-nous qu'une liste n'est pas la réponse, et que nous devons concentrer nos réflexions sur le comment et le pourquoi ; la capacité d'écoute et de (dés) apprentissage est une pratique et un processus continu qui ne peut jamais être achevé.  

Si vous n'avez pas encore commencé ce travail, commencez-le dès maintenant. Toutefois, il ne peut pas être bâclé et ne peut pas se faire de manière isolée. Si nous nous engageons dans une transformation organisationnelle, cela nécessitera une collaboration, de longues réunions en soirée, des budgets réécrits, des modèles de prise de décision lents et non hiérarchisés, des formations le week-end, des lectures supplémentaires, de nouvelles alliances, des conversations difficiles, des recherches approfondies et un retour en arrière fréquent. C'est une tâche difficile et c'est un engagement permanent, mais nous le ferons tout de même.

Toute l'équipe d'articule souligne que la majorité du travail qui a permis de transformer articule au fil des ans et les outils que nous avons recueillis et appris et qui sont à la base de cette lettre proviennent de nos membres actuel-le-s et passé-e-s, de notre personnel et de nos bénévoles qui sont Noire-s, Autochtones et personnes racisées, dont beaucoup sont des femmes, des personnes queer, des personnes trans, des personnes non binaires et/ou handicapées. Nous vous remercions tous-tes pour votre générosité.

Nous sommes également inspirés par le travail de pionniers-ères des leaders de la lutte contre le racisme dans la gestion des arts au Canada, tels que Zainub Verjee, Andrea Fatona, Monika Kin Gagnon et Richard Fung, et des organisations telles que le Centre for Community Organisations, parmi beaucoup d'autres.

Signé,

articule
Tio'tia:ke/Mooniyang/Montréal


Il existe plusieurs listes extensives de ressources largement diffusées en anglais. Afin de répondre à un besoin de listes de ressources antiracistes en français, nous les incluons ici. Ces listes ne sont en aucun cas exhaustives et nous vous encourageons à continuer à rechercher des ressources locales. Nous proposerons la traduction d'autres ressources en français dans les prochains jours.

LISTE de ressources anti-racistes (Québec)
LISTE —Ressources anti-racistes à destination des personnes blanches (France)

Liens des sources citées dans cette lettre :

  1. https://coco-net.org/black-led-organizations-in-quebec-we-can-support-right-now/

  2. https://robynmaynard.com/policing-black-lives/

  3. https://twitter.com/policingblack

  4. https://www.galeriegalerieweb.com/en/webtheque-2/the-wig-2/

  5. http://www.galeriegalerieweb.com/wp-content/uploads/2020/05/pullout_euniceb%C3%A9lidor_2020.pdf

  6. https://e-artexte.ca/cgi/facet/simple2?q=Decolonial&_action_search=&_action_search=Search&basic_srchtype=ALL&_satisfyall=ALL

  7. https://www.collectiveculture.ca/projects-events

  8. https://coco-net.org/guidelines-for-an-effective-basis-of-unity/

  9. https://www.articule.org/en/about

  10. https://www.raniawrites.com/workshops.html

  11. https://coco-net.org/anti-oppression-nonprofits-quebec/

  12. https://coco-net.org/white-supremacy-culture-in-organizations/

  13. https://www.instagram.com/stories/highlights/18020266288301331/

  14. https://www.zainubverjee.com/

  15. https://tspace.library.utoronto.ca/bitstream/1807/31747/1/Fatona_Andrea_M_201111_PhD_thesis.pdf

  16. https://artexte.ca/en/editions/13-conversations-about-art-and-cultural-race-politics/

  17. https://coco-net.org/

  18. https://docs.google.com/document/d/1H6JL9lGMKaopXcStoMI1zqgLRvqbyFmMxPjAiKeJQ_o/edit?fbclid=IwAR0c4SwD1rKd3mjHlZi91iAzNTU7qT-TuyPn_UZjI7q4MwgAnx57LCr7jdc

  19. https://docs.google.com/document/d/1rZX6ovsbv90eId_EVUxynq-KDNqLE9iiZJuBKxCrsrQ/preview?pru=AAABcppiacQ*uql1A3cz8CsdWLrBUYwK_w&fbclid=IwAR0c4SwD1rKd3mjHlZi91iAzNTU7qT-TuyPn_UZjI7q4MwgAnx57LCr7jdc